La guerre entre la Russie et l’Ukraine dure depuis février 2022. Plus de 1.000 jours d’attaques incessantes qui ont déjà causé des centaines de milliers de blessés du côté ukrainien. Un fardeau énorme pour n’importe quel système de santé. Mais surtout pour celui d’un pays en guerre, où les hôpitaux et autres centres de santé sont ciblés fréquemment par les missiles de l’envahisseur. Cette situation rend difficile, voire impossible, la possibilité de soigner convenablement tous les blessés… et d’isoler ceux infectés par des bactéries résistantes aux antibiotiques. Facilitant la propagation de ces bactéries, qui deviennent de plus en plus résistantes, mais aussi de plus en plus virulentes, selon une étude publiée le 11 octobre 2024 dans le Journal of Infection par des chercheurs de l’Université Lund, en Suède, en collaboration avec plusieurs centres de santé en Ukraine.
Des bactéries potentiellement résistantes à tous les antibiotiques
L'une de ces bactéries est Klebsiella pneumoniae, qui, comme son nom l’indique, attaque les poumons. Des souches de cette bactérie sont connues pour leur antibiorésistance, c’est-à-dire leur capacité à résister contre les antibiotiques. Dans les six premiers mois de la guerre, les hôpitaux participants ont identifié 37 patients infectés par cette bactérie. Un quart d’entre elles était résistante à l’antibiotique colistine, qui est utilisé lorsque les autres antibiotiques ne fonctionnent pas. Ces bactéries sont donc potentiellement résistantes à tous les antibiotiques disponibles.
"Toutes les souches étudiées portaient des gènes associés à l’antibiorésistance, et un quart d’entre elles semblent résistantes à tous les antibiotiques actuels, résume dans un communiqué Kristian Riesbeck, professeur de bactériologie clinique à l’Université de Lund et directeur de l’étude. Les infections causées par ces bactéries deviennent très difficiles, voire impossibles, à traiter avec les médicaments que nous avons aujourd’hui."
Ces bactéries résistantes sont aussi plus virulentes
En plus de leur antibiorésistance, ces souches résistantes à la colistine portent aussi des gènes associés à une virulence accrue. Ce qui n’était pas le cas de la plupart des souches sans cette résistance. Et ces souches résistantes survivaient aussi mieux aux protéines de l’immunité innée, premier rempart de notre corps contre les infections.
Les chercheurs ont testé leur virulence en laboratoire, sur des souris et sur des larves de papillons de nuit (de l’espèce Galleria mellonella). Les souches résistantes infectaient plus facilement les poumons de ces rongeurs que les souches sans cette résistance. Et les larves infectées par ces souches avaient un taux de survie plus faible que celles infectées par les autres souches. C’est-à-dire que ces souches potentiellement résistantes à tous les antibiotiques sont aussi plus virulentes.
“Souvent, les bactéries qui deviennent antibiorésistantes utilisent tellement de ressources pour résister aux antibiotiques qu’elles perdent leur capacité à infecter et à causer des maladies. Mais nous avons peut-être sous-estimé ces bactéries, car plusieurs des souches que nous avons détectées en Ukraine portent des gènes pour l’antibiorésistance, mais aussi pour la virulence”, alerte Kristian Riesbeck. Cependant, cette virulence accrue n’a pas encore été confirmée chez les patients. D’autres études, avec une cohorte plus importante, seront nécessaires pour confirmer ces résultats inquiétants.
Un danger pour le pays et ses voisins
Deux ans après, le nombre de patients infectés par ces souches antibiorésistantes a sans doute grimpé considérablement. Ce qui représente un danger pour le pays, mais aussi pour ses voisins (et le reste du continent) si jamais il y avait propagation au-delà des frontières. “C’est quelque chose qui ne va pas tout simplement disparaître avec le temps. Tant que les patients ne sont pas traités convenablement et isolés si infectés par ces bactéries, la propagation se poursuivra, prévient Kristian Riesbeck. C’est ce qui se passe lorsqu’un système de santé s'effondre.”